source : http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2321/articles/a400456-facs_et_p%C3%A9trodollars.html
La Sorbonne à Abu Dhabi
Facs et pétrodollars
Le «contrat exclusif» de Paris-IV fait des remous au quartier Latin. Mais il est jalousement protégé par le Quai-d'Orsay
La Sorbonne à Abu Dhabi, à Bahreïn ou au Qatar ? Les émirs du pétrole en rêvent. A l'instar de Dior, de Chanel ou du Louvre, la vénérable université fondée par le théologien Robert de Sorbon en 1253 fait partie du chic français. Mais voilà, l'exportation de cette prestigieuse enseigne se heurte aux rivalités qui opposent les facultés héritières de l'ancienne Sorbonne, divisée en trois après 1968 : Paris-IV dite «Paris-Sorbonne», fac de lettres qui occupe le bâtiment historique du boulevard Saint-Michel; Paris-I dite «Panthéon-Sorbonne», fac de droit et d'économie sise dans le bâtiment mitoyen; Paris-III dite «Sorbonne nouvelle», logée dans le préfabriqué de Censier. A qui appartient au juste le nom Sorbonne ? Nul ne le sait. Et depuis que Paris-IV, menée par son ex-président Jean-Robert Pitte, a décroché le 19 février 2006 une convention d'implantation de «The University of Sorbonne - Abu Dhabi», la polémique se déchaîne et les incidents diplomatiques se multiplient. Ce projet ambitieux ?- 3 amphithéâtres, 45 salles de cours et une bibliothèque de 50 000 volumes - exclut catégorique ment les petites soeurs Paris-I et Paris-III. Plus sulfureux : conclu par l'entremise du lobbyiste Pascal Renouard de Vallière, ami d'Olivier Dassault, le deal comporte une clause d'exclusivité. Paris-IV serait la seule université à pouvoir utiliser le nom «Sorbonne» dans toute la région. En échange, l'apporteur d'affaires Renouard de Vallière a même négocié une commission de 2 millions de dollars, qui n'a jamais été versée...
Mais qu'à cela ne tienne, le Quai-d'Orsay semble beaucoup tenir à ce «contrat secret», selon les termes mêmes de Georges Molinié, le successeur de Pitte à la présidence de Paris-IV La preuve ? La diplomatie française s'active pour faire échouer les velléités d'implantation de Paris-I. En novembre 2007, son président, Pierre-Yves Hénin, croyait signer avec les Qataris aux poches bien pleines grâce à l'entremise de Rachida Dati : «Je prends ça sur moi, nous signerons», jurait la garde des Sceaux. Patatras ! Arrivée à Doha pour un sommet des ministres de la Justice, elle changeait brusquement d'avis : «Désolée, on ne signe plus. Il y a un veto de l'Elysée. Intérêts supérieurs.» Rebelote en février dernier, à Bahreïn cette fois. L'implantation de Paris-I est à l'ordre du jour d'un voyage de Nicolas Sarkozy. Mais l'affaire est enterrée : «Votre venue soulève une objection», fait-on savoir à Pierre-Yves Hénin, qui recevra une lettre embarrassée de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères. «Nous sommes liés par un accord franco-émirien. Il comporte une clause précisant que ce sera l'unique implantation de l'université Paris-Sorbonne au Proche et au Moyen-Orient.» Pourquoi un tel oukase alors même que la commission qui justifiait cette exclusivité n'a pas été payée ? «Chez Pécresse [ministre de l'Enseignement supérieur, NDLR], ils sont au contraire pour la multiplication des partenariats à l'étranger, explique un proche du dossier. C'est donc qu'il y a d'autres intérêts en jeu que ceux de l'éducation.» L'Elysée a-t-il défendu l'exclusivité d'Abu Dhabi pour favoriser des contrats d'armes et l'ouverture fin mai d'une base militaire française dans ce pays ? Si c'est le cas, ce serait une façon inédite de monnayer le renom d'une fac.
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Patrick Fauconnier
Le Nouvel Observateur
